Petite note sur l'auteur : Boris Mouravieff (1890-1966) était un écrivain, historien et professeur de philosophie ésotérique à l'Université de Genève. Il a créé le Centre d'Etudes Chrétiennes Esotériques (disparu à sa mort). Il a été un auteur reconnu dans le domaine de l'ésotérisme chrétien, notamment dans sa branche orthodoxe.
Pour cet article, je vais utiliser comme source le premier volume de sa trilogie Gnôsis, qui s'intitule : Etudes et commentaires sur La Tradition Esotérique de l'Orthodoxie Orientale.
Si vous êtes hermétique (jeu de mots… pardon) a l'ésotérisme chrétien, pas d'inquiétude, il en sera assez peu question dans cet article, qui pourra intéresser tous les praticiens ayant à minima une conceptualisation de l'Univers sous la forme d'un grand Tout.
A noter aussi que lorsque je mentionnerai le concept d'égrégore, il est tout à fait étranger à la pensée de l'auteur, qui n'en fait jamais mention.
Mise en image de l'étude
L'Univers peut être représenté tel un être vivant, ayant un corps est composé d'un ensemble d'organes, eux-mêmes constitués de cellules indépendantes.
Nous sommes, en tant qu'individu, ces petites cellules.
On peut y voir une illustration de nos structures de groupe, telles que notre société, notre nation et a plus petite échelle notre famille, une association ou un parti politique comme ces organes.
Ce sont nous qui permettons à ces structures d'exister et de fonctionner, du moment où nous pouvons garder une cohérence d'ensemble malgré notre capacité à agir librement.
Exposé de la Loi Générale
La loi Générale va garantir la structure et la cohérence de l'ensemble formé par la somme de l'existence et des actions des individus. On peut la voir comme ce qui permet la formation d'une membrane qui assure l'intégrité de l'organe, de sorte que l'infinité des cellules qui le composent ne se disperse pas dans son contenant (le reste du corps).
La loi générale contraint les cellules, c'est-à-dire nos individualités, à garder leur place et de jouer leur rôle attendu pour garantir l'existence même de l'ensemble auquel elles appartiennent. Cette loi force ainsi la cohésion d'ensemble, elle est une loi conservatrice. A l'échelle d'un corps humain, cette loi permet donc, toujours de manière imagée, à l'organisme de compter sur l'action coordonnée d'un coeur, de poumons, d'un foie, eux-mêmes constitués de cellules qui travaillent avec une certaine unité au fonctionnement de leur organe.
L'auteur expose ensuite le fait qu'un corps humain peut fonctionner même si un organe lui manque, par exemple un de ses reins suite à une opération chirurgicale. Dans ce cas, un ensemble de cellules, formant un organe, a donc échappé à cette loi…ce qui nous permet d'introduire la Loi d'Exception.
Exposé de la Loi d'Exception
La loi d'Exception régit la capacité d'un individu à agir de par lui-même au sein d'un groupe ou d'une entité. Pour reprendre notre illustration, chaque petite cellule a une marge de manoeuvre au sein de l'organe dont elle fait partie. Elle peut très bien en sortir (en théorie), ou aller dans le sens contraire de ses comparses, si telle est sa volonté. Cette loi s'applique en permanence, à l'image de la mort et la reconstitution cellulaire. D'autres cellules peuvent mourir sans être reconstituées, sortant ainsi également de l'influence de la Loi Générale.
La loi d'Exception peut être vue comme le facteur chaos d'un groupe : la cellule peut devenir un électron libre qui peut aussi bien passer totalement inaperçu avec son comportement individualiste anecdotique, ou bien devenir un vrai problème lorsque plusieurs cellules l'imitent dans sa dissonance, en pouvant ainsi provoquer un cancer de l'organe tout entier.
Le cas de l'Homme
Cette métaphore du corps humain permet de comprendre que ces deux lois sont à la fois complémentaires et opposées, comme le sont toutes les forces de l'Univers d'ailleurs (chaud/froid, etc.).
Mais il faut l'adapter maintenant au cas spécifique de l'être humain, qui dispose selon Boris Mouravieff de ce qu'il appelle une Personnalité et un Moi réel, que je vais essayer de résumer ici le plus simplement possible.
La Personnalité est en fait la somme de nos "petits moi", de nos différentes facettes, ainsi que par extension l'ensemble des corps périssables de notre incarnation (notre corps physique, notre corps astral et notre corps mental). C'est cette Personnalité qui fait ce que nous sommes à l'échelle de la société humaine, avec un caractère, des goûts, des attirances, des répulsions, etc. Il reste au final un "non-moi", construit de toute pièce pour la durée de notre vie, mais pas au-delà.
Dans l'ouvrage, l'auteur met en lumière le fait que cette Personnalité nous empêche naturellement d'être vraiment nous-même : un être spirituel éternel connecté au divin, n'ayant plus ce besoin constant d'individualité marquée, que j'associe personnellement au libre-arbitre.
Le Moi réel est l'étincelle divine que nous avons tous et qui nous relie à Dieu, en tant que Tout. Cette part de nous-mêmes, endormie et ignorée, subit les affres des mauvais comportements de la Personnalité : désirs toujours inassouvis, comportements matérialistes, agissements immatures ou égotiques. Le Moi Réel est cette petite voix de notre conscience, notre bon génie, que d'autres auteurs appellent le Moi supérieur.
Erratum : dans la première version de l'article j'ai ajouté la traduction anglaise de Higher Self comme équivalent au Moi Supérieur. Sauf que c'est bien le Soi Supérieur, et non le Moi Supérieur (Ego raisonnant), car le Soi dans sa définition est un détachement, alors que le Moi est son strict opposé, rattaché à la matière. Merci à Fred MacParthy pour sa vigilance.
Cette connexion permet, au fil de la vie, de se rapprocher du divin en quête d'une réunification, le circuit inverse de la chute de l'Homme dans la théologie judéo-chrétienne. Peu importe la voie choisie parmi celles traditionnelles visant à la réunification de l'Homme avec le divin, on retrouve dans les systèmes théurgiques ou mystiques tant occidentaux qu'orientaux ce même objectif. Ce cheminement est central et parfaitement illustré dans les voies alchimiques. L'auteur y fait d'ailleurs, je pense, un clin d'oeil en utilisant le terme de pierre philosophale pour imager ce lien entre Personnalité et Moi réel que tout Homme doit développer dans le cadre de son évolution spirituelle et ésotérique.
Reprenons notre exposé sur les deux lois, auxquelles nous sommes tous soumis.
La loi générale est ce qui pousse les humains à se regrouper pour agir en commun et ainsi assurer la bonne marche des civilisations. Elle amène toutefois son lot d'obligations et de contraintes, plus ou moins bien vécues selon les individus. L'auteur cite par exemple : le fait de devoir travailler pour contribuer au collectif, de se reproduire pour faire perdurer l'espèce humaine, le fait de se conformer à des règles culturelles, ou encore la sollicitude qu'ont naturellement les parents pour leurs enfants, etc.
On voit donc que la loi générale, si elle permet à nos civilisations de ne pas être des maelstroms chaotiques où chacun ferait ce qu'il voudrait dans son coin sans vision de groupe, est aussi bloquante pour le développement de l'individualité. La loi générale permet toutefois une marge de manoeuvre, que l'auteur illustre par l'exemple du bonheur bourgeois , à savoir que chaque individu est en mesure d'avoir des ambitions, de travailler de la manière dont il le souhaite, d'obtenir un certain confort de vie, essentiellement matériel, même s'il n'est pas parfaitement dans les clous sociaux. L'auteur précise que cela ne peut se faire qu'à une seule condition : l'acceptation du caractère inévitable de la Mort ("C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière." - Genèse 3.19).
La loi générale n'a dès lors de réelle prise sur l'individu si l'anéantissement de sa Personnalité est pleinement accepté. Ainsi, pour être pleinement libre d'agir, chaque Homme doit accepter le sort inévitable de sa propre fin. Il est ainsi contre-productif de chercher à tout prix à braver la Mort physique de notre Personnalité en tentant vainement de repousser l'échéance (l'exemple qui me vient en tête est celui de la chirurgie esthétique contre le vieillissement, qui est une manière de fuir la réalité des effets du temps).
J'ouvre une parenthèse sur la Loi Générale, en faisant une comparaison (théorique) de ses effets de contraintes avec ce qu'on observe dans le cas des égrégores. Lorsqu'on fait partie d'un groupe construit et structuré, formant un ensemble énergétique - parfois constitué d'une similiconscience et d'un instinct de préservation, comme une société ; être différent, vivre comme un marginal, dans une mauvaise situation sociale, fait sentir tout le poids de la pression du groupe : incompréhension, discrimination, rejet, exclusion, notamment par les proches.
Au final, il s'agit là d'une violation de la loi générale appliquée à l'échelle humaine et sociétale qui fait que certaines personnes sont exclues pour leur mode de vie excentrique, suivant ainsi les effets de la loi d'exception qui tend à les rendre uniques et maîtres de leur vie, au prix donc de leur exclusion du collectif.
L'Homme sage cherchant à progresser spirituellement sur sa voie doit ainsi échapper à la loi générale en affrontant la figure morale de sa contrainte, personnifiée en la figure symbolique du Diable. Toute action ne respectant pas la loi générale est ainsi vue comme diabolique. Le Sage doit ainsi vaincre cette figure du Diable, bicéphale : avec d'un côté la répression sociale qui édicte ses règles et de l'autre dans sa propre intériorité : ses doutes, ses travers, son manque de maturité, son appétit, ses passions (au sens religieux) ou son égoïsme. C'est à cette seule condition - écrit l'auteur - que l'on peut réussir à faire fi de la loi générale à l'échelle de sa vie.
J'y vois une référence implicite au mythe de Babylone, en version moderne, où l'Homme sage est toujours tenté par les plaisirs terrestres jusqu'à l'ivresse, son besoin de reconnaissance, de possession terrestre, d'amour charnel, usant souvent de violence pour étancher sa soif. Pour extrapoler sur cet exemple, cela justifie aussi selon moi le comportent des mystiques en quête du divin qui choisissent volontairement de s'exiler dans le désert, soit symboliquement de se retirer du monde profane et de ses tentations, en quête de transcendance.
Comme l'explique l'auteur, "le travail est par nature un travail révolutionnaire. Le chercheur aspire à changer de statut, à vaincre la Mort et à trouver le Salut".
Conclusion
J'ai tenté de résumer en toute bonne foi et avec ma propre compréhension les propos de l'auteur. Ces deux lois me semblent fondamentales à comprendre, car au-delà des exemples que j'ai utilisés pour les illustrer, leur connaissance permet d'interpréter énormément de choses autour de nous. Et la prise de conscience de l'effet de ces deux lois sur nous est un premier pas en avant vers l'acceptation et l'exaltation du Moi réel au détriment de sa Personnalité.
Certaines choses resteront sans doute floues pour certains lecteurs, c'est normal et volontaire. Je vous invite à vous référer à l'oeuvre complète de Boris Mouravieff (Gnôsis) pour avoir plus d'informations sur certains termes utilisés ici, mais aussi comprendre la logique globale de la vision ésotérique chrétienne orthodoxe, méconnue en France, mais très intéressante.
Vous trouverez ces mêmes lois illustrées et expliquées, parfois sous d'autres noms, chez d'autres auteurs classiques comme Franz Bardon, Agrippa ou encore Papus. Je vous invite à méditer ces différents concepts pour aller au-delà des mots et capter leur essence.
Si ce sujet vous intéresse, je vous invite à découvrir mes cours en cliquant sur cette image.

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